Créer et trier : 2 boulots différents mais complémentaires

Créer et dessiner est un acte souvent solitaire pour moi car il m'isole entre le monde et le dessin, même si je peux le faire et le fais régulièrement dans les bistrots et endroits publics, ou au milieu de la famille. Travailler sur ses oeuvres, les regarder d'un point de vue structuré est une démarche que j'ai souvent du mal à imaginer mais qui me semble essentiel pour réussir "à voir" ses propres oeuvres.

Se préparer à faire une exposition, mettre les mots en forme, échanger avec d'autres artistes permet de comprendre son propre travail, pour voir ce qui est différent, unique, ce qu'y voit les autres. Au fur et à mesure des échanges se crée une cohérence.

Une cohérence à explorer comme celle d'une conférence finalement

Faire des séries

Premier élement primordial pour moi, et premier retour qui m'a été fait lorsque je parlais de mon travail à d'autres artistes. Identifier dans mes dessins les tendances : certains dessins se parlent, vont ensemble, ils sont et font corps dans une série. C'est la base de notre travail, trouver la piste qui nous relie aux oeuvres.

Faire une série, faire des séries, trier, regrouper, c'est un premier acte de conception pour essayer de donner du sens à ce qui vient. Ce travail de tri est dur, couteux, hardu, il me faut choisir et sentir où veut aller l'oeuvre. Si elle est plus là ou là. Parfois avant de dessiner, je sais où elle va aller, je sens l'intention qui correspond à mon ressenti du moment mais la plupart du temps, ça reste diffus. Ce travail est pour autant essentiel, car il permet de donner un angle et de pouvoir répondre aux attentes des galeries qui cherchent à mettre de la cohérence dans des collections qui parfois n'en ont pas.

C'est un peu comme lors de la rédaction d'un article scientifique ou de la prépration d'une conférence: au début on met plein d'idées, plein de sujets, plein de slides, et puis il faut choisir, réduire le nombre d'idées, rendre le message intelligible, créer un fil rouge.... sinon personne ne comprendra finalement le sens du propos. En art aussi la cohérence est essentielle, intuitive ou construite... peu importe, elle est.

Une exposition m'a beaucoup frappé sur ce sujet, au musée d'art moderne d'Istanbul, une expo sur les photos "médiatiques" des 40 dernières années, où on ne voyait pas seulement "la photo" qui avait finalement frappée la UNE de tous les journaux, mais surtout toutes les planches contact du photographe et le travail de recherche, d'élimination (barrer ce qu'on ne veut pas), et de recadrage (traçage au feutre rouge sur les négatifs, pour cadrer la partie "intéressante").

Varier les formats et les techniques

Une vraie nécesité pour changer le geste de départ, l'intuition floue, et la tordre pour l'adapter au format, à la longueur de la courbe, à la grosseur du trait. On est à la fois dans l'entrainement et dans la recherche de nouveauté pour élargir les horizons de la création.

Chose finalement pas si facile, car une fois qu'on tient une piste, on peut avoir peur de se diversifier, peur de perdre la muse qui nous accompagne et nous aide à accoucher des traits, des lignes, des formes, des sentiments. Peur de la vexer et qu'elle s'en aille.

Pourtant, il faut élargir, changer, essayer, diversifier, pour mieux trouver ce qui plait à votre être, ce qui marche, ce que vous aimeriez faire, et surtout ce qui plait aux autres, les bouleverse, les touche.

La peinture et les grands formats m'attirrent. J'y viendrai patiemment.

Faire et refaire

Certains dessins sont laids de mon point de vue, ce qui n'est pas le cas pour autrui quand je les montre. Il faut donc surfer entre son ressenti et ce qu'aime les autres. Je crée pour vous, pas pour moi, et en même temps aussi pour moi. L'équilibre est à trouver pour joindre plaisir et reconnaissance, plaisir et ventes.

Il faut essayer, tatonner, montrer, recommencer, épurer les lignes et refaire ceux qui plaisent pour tirer le sens (merci Léandre). J'ai longtemps cru que seule l'intuition comptait et puis, à force de fouiller dans les carnets des grand(e)s créateurs et des autres, on voit, on sent le nombre de reprises pour affiner le trait, pour qu'il parle et résonne.

Dans la répétition, il y a aussi choisir les oeuvres à reproduire, celles qui disent quelque chose, celle qui sont unique, qui résument ta vie et ton être, qui claquent et dont tu sens que tu ne  pourras plus les reproduire, qu'elles ont emmenées un petit bout de toi. Celles là, alors, il faut se battre pour les refaire et conserver le plus longtemps possible ce petit bout de toi, cette bulle de lumière qui t'a amené là.

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